Les Droits culturels : des droits formels aux droits réels

La notion de Droits culturels fondée par le corpus de droit international, est entre autres constitué de la déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen de 1948, du Pacte des droits économiques, sociaux et culturels de 1966 et de la Convention l’Unesco de 2005 « Diversité des expressions culturelles ». Transposé en droit français dans les lois Notre, LCAP et dans la loi de fondation du CNM, elle impose aux pouvoirs publics une responsabilité dans la conduite de leurs politiques culturelles, qui doivent favoriser la participation et la contribution de la population à la vie artistique.

Si cette notion, marqueur fort des discours relatifs aux politiques culturelles, constitue une avancée notable dans la définition des axes d’interventions prenant en compte l’intérêt général et le service rendu à la population, il est toutefois raisonnable d’interroger la véritable effectivité de ces obligations juridiques.

Les très grandes atteintes au patrimoine et à la liberté d’expression offrent, en droit français, voies à des contentieux devant les juridictions compétentes. Au contraire, la responsabilité des pouvoirs publics dans la conduite de leur politique culturelle ne peut être invoquée, dans le cadre d’un contentieux de droit public, par un usager entravé dans sa capacité à participer à la vie artistique.

En conséquence, nous considérons que l’effectivité des droits culturels doit reposer sur des architectures de politiques publiques prenant en considération la réalité des rapports qu’entretient la population avec les œuvres et les pratiques artistiques.

Pour se faire, il nous semble indispensable d’articuler la notion juridique de Droits culturels aux éléments de sociologie des publics à notre disposition.

L’enquête « Pratique Culturelle des Français »[1] nous offre un panorama précis des usages culturels des français et françaises, et nous permet d’objectiver les déterminismes sociaux qui entravent une partie de la population dans sa capacité à participer et contribuer à la vie artistique.

À titre d’exemple, en 2018, 2% des employé·e·s et ouvrier·e·s avaient assisté à un concert de musiques écrites, contre 16% des cadres ; 8% des employé·e·s et ouvrier·e·s avaient bénéficié d’un concert de jazz contre 29% des cadres ; 15% des ouvrier·e·s et employé·e·s avaient assisté à un concert de variétés contre 24% des cadres.

L’existence de ces déterminismes sociaux peut être contrée, selon nous, par une refondation de l’architecture des politiques déployées par l’État et les collectivités, en cherchant à « désenclaver » et « resocialiser » les politiques publiques visant à favoriser la participation des usagers à la vie artistique.

Si les opérateurs culturels aidés par les pouvoirs publics sont aptes à soutenir la création et la production artistique en contrepoint des logiques de marché et des modèles de l’industrie culturelle, l’impératif de réduction des inégalités d’accès aux œuvres et aux pratiques doit être considéré dans une perspective de coopération de long terme entre les structures culturelles soutenues par les pouvoirs publics, et leurs homologues des champs éducatifs, sanitaire et social.

Ce modèle d’architecture, que nous appelons de nos vœux, vient consacrer la complémentarité entre deux fonctions : la mise à disposition des œuvres et des pratiques, prérogative des équipements culturels, et la mobilisation de la population, compétence des équipements sociaux, éducatifs et sanitaires.

Ce modèle d’articulation s’oppose radicalement aux dispositifs de « chèques » ou « pass », auxquels ont été attribués des moyens considérables ces dernières années.

Selon nous, le modèle du Pass vient légitimer la confusion entre œuvre et marchandise, citoyen et consommateur. Il réduit l’ambition publique à une tranche d’âge captive et bien définie, et porte en son sein un affaiblissement de la logique de financement par dotation des opérateurs culturels publics. Nous considérons que l’objectif d’émancipation collective par les œuvres et les pratiques artistiques doit s’appuyer sur un renforcement des liens qui unissent les structures culturelles et les autres champs de l’action publique.

Nous portons ce discours au sein de Grands Formats, qui rejoint et soutient ce positionnement, et nous espérons qu’à l’avenir, le gouvernement et le ministère de la Culture s’emparent de ce sujet en ce sens.

Par Léa Ciechelski (musicienne, membre du Capsul Collectif) et Arnaud Fièvre (coordinateur du Capsul Collectif)

 

[1] Ministère de la Culture, Études et statistiques, L’enquête pratiques culturelles2018, lien


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