Claude Carrière nous a quittés le 20 février dernier. Il fut président de Grands Formats trois années durant. Je lui avais demandé en 2008 s’il accepterait de présider notre fédération naissante, le sachant hésitant à endosser un costume déjà porté une dizaine d’années au service de l’Académie du jazz. Il m’avait fait cette réponse drolatique qui lui ressemblait bien : « Si tu as besoin d’un président-potiche, je dois pouvoir le faire ». En fait de poterie, il avait surtout eu à cœur d’apporter sa connaissance encyclopédique de l’histoire du grand orchestre et sa bienveillance naturelle à la jeune équipe qui s’aventurait dans le monde instable des politiques culturelles.
Pianiste amoureux de Duke Ellington, il était l’un des rares journalistes à pouvoir parler d’égal à égal avec les musiciens. Je l’avais rencontré vers 1966/67 au sein d’un big band amateur, la Swing Limited Corporation, dans lequel m’avait entraîné un condisciple de terminale, saxophoniste, Christian Bonnet, futur collaborateur de Claude sur de nombreuses rééditions phonographiques, lui aussi trop tôt disparu, et qui m’avait apporté les parties de basse d’Eddie Jones sur l’album Atomic Mr Basie afin de remplacer le bassiste de l’orchestre.
Claude Carrière travaillait, à l’époque, à la Préfecture de Paris. J’étais employé de librairie place de la Sorbonne et il passait me chercher, avec sa dauphine Renault, à la sortie du boulot, pour aller répéter avec le big band. J’avais loué une contrebasse en contreplaqué en haut du boulevard Saint-Michel, dans une boutique dont l’enseigne affichait : « Ancienne Maison Pasdeloup – Couillé et Cie, vente et location tous instruments ». Nous casions tant bien que mal la contrebasse dans l’habitacle de la Dauphine et Claude nous emmenait vers une improbable salle de répétition porte de Montreuil. C’est avec lui que j’ai effectué mes premiers pas sur Flight of the foo birds, Splanky, Fantail, Perdido, Four Brothers et, inévitablement, Take the A train dont il m’avait appris l’introduction de piano.
Par la suite, il est devenu l’homme de radio que l’on sait et nos routes se sont constamment croisées. Je ne compte plus le nombre d’émissions sur lesquelles j’ai eu le privilège d’être invité, dont notamment le Jazz Club qu’il avait inventé avec Jean Delmas.
Aujourd’hui je perds un compagnon de route et un ami proche, le monde de la radio est en deuil, quant aux jeunes générations de musicien·e·s, elles se trouvent privées de l’oreille la plus attentive qui ait jamais été pour les faire connaître.
« En Afrique, un vieillard qui meurt, c’est une bibliothèque qui brûle » disait Amadou Hampâté Bâ. Avec la disparition de Claude Carrière ce sont les mots d’un éminent griot du jazz qui ne nous parviendront plus.
Patrice Caratini, contrebassiste et co-fondateur de Grands Formats