Quelles politiques culturelles face à la crise sociale à venir ?

S’il est toujours périlleux de se lancer dans un exercice de prospective dans un contexte troublé comme celui que nous subissons, il est peut être raisonnable de penser que, sans une réorientation radicale de l’action publique, notre société sera confrontée demain à un accroissement massif des inégalités économiques et sociales avec, pour conséquence, un renforcement des déterminismes sociaux.

Dans ce contexte, il est peut être souhaitable d’interroger la place des politiques culturelles et leurs capacités à réduire l’emballement des inégalités que nous subirons à court terme.

Si le soutien à la production des œuvres représente un axe presque « naturel » des politiques publiques, que ce soit pour démontrer le bon goût du Prince ou plus légitimement pour lutter contre l’homogénéisation des œuvres induite par les industries culturelles et la marchandisation des oeuvres, il nous semble pertinent d’interroger l’équilibre entre politique de soutien à la création, que l’on pourrait qualifier de politique de l’offre pour reprendre une terminologie d’économistes, et les politiques ayants pour objectifs de favoriser la demande d’oeuvres et de pratiques artistiques au sein de la population.

Si les données relatives à la sociologie des publics dans le champ du jazz et des musiques improvisées manquent cruellement, il est raisonnable de penser que des freins nombreux entravent la capacité d’accès aux œuvres et aux pratiques dans de larges pans de la population.

Le frein financier, évident. Les freins symboliques, le « ce n’est pas pour moi » si difficile à contrer. Les entraves à la mobilité qui rendent les équipements inaccessibles à une partie de la population habitant dans des zones rurales ou périurbaines. Le genre, « la basse, est ce vraiment un instrument pour les filles ? », les difficultés d’accès au numérique, dont les conséquences criantes ont été révélées par les inégalités d’accès aux espaces numériques de travail de l’éducation nationale pendant le confinement.

À ces freins se cumulent des orientations de politiques publiques qui ne portent pas toujours pour principale ambition l’accès de tous et toutes aux œuvres et aux pratiques. Des politiques culturelles locales qui favorisent parfois « l’attractivité » et le « rayonnement » au détriment du souci de l’intérêt général, un nouveau management public qui structure l’action publique par le biais d’agences, affaiblissant les administrations centrales et les services  déconcentrés de l’Etat, une tendance à la différenciation et à la décentralisation qui n’est pas toujours accompagnée par le transfert des ressources fiscales de l’état vers les collectivités, les logiques d’appels à projet au détriment d’une action publique s’inscrivant dans le temps long, la promotion du mécénat en substitution de l’intervention publique qui grève les finances publiques tout en transférant à des opérateurs privés la définition de l’intérêt général.

En cette période difficile, il nous semble souhaitable de mettre la question du rapport que la population entretient avec les œuvres et les pratiques au centre de l’action de l’Etat et des collectivités dans le champ artistique.

S’est construit ces dernières décennies un corpus juridique qui engage la puissance publique et les opérateurs soutenus par celle-ci, du pacte des droits économiques, sociaux et culturels adoptée par l’assemblée générale de l’ONU en 1966 à la convention de l’UNESCO de 2005, en passant par les éléments relatifs aux droits culturels intégrés dans la loi Notre et la Loi LCAP.

L’approfondissement des interactions entre les opérateurs culturels soutenus par la puissance publique et les acteurs des sphères éducatives et sociales constitue probablement l’un des principaux leviers à mobiliser afin de garantir à toutes et tous la participation à la vie artistique.
 
Réduire les déterminismes sociaux et leurs conséquences en matière d’inégalités d’accès aux œuvres et aux pratiques artistiques constitue, selon nous, une ambition qui devrait être au cœur de l’action d’un véritable service public de la culture.

Ces questions, et bien d’autres, seront débattues à l’occasion du lancement de la Rentrée Grands Formats, et notamment à l’occasion de la rencontre professionnelle « Renouer avec les publics après la crise » du 02 octobre après-midi à la Ferme du Buisson à Noisiel, à laquelle chacun d’entre vous est invité.

Pour le Capsul Collectif,

Arnaud Fièvre, coordinateur du Capsul Collectif et membre du Conseil d’Administration de Grands Formats

© DR


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