Un été en suspens

La saison 2022/2023 se termine, les festivals d’été commencent, il y a plein de groupes de qualité, des répertoires parfaitement prêts, des créations à proposer, écrites par des musiciens expérimentés, mais aussi par des jeunes musiciens, très bons, très motivés. Beaucoup de disques aussi, de qualité, très bien mixés, par des passionnés de son, de studio et de machines géniales anciennes et modernes. Des disques souvent pressés en vinyles, permettant de mettre en valeur le travail d’un graphiste tout aussi passionné.

Cette saison passée, première vraie saison d’après crise sanitaire, a battu son plein. Entre derniers reports de programmation, reprise des tournées à l’export, et l’impatience de jouer ces répertoires créés pendant l’épidémie, couplée à l’impatience de défendre un ou deux disques sortis pendant cette période. Impatience des salles à les rouvrir, aux équipes artistiques comme au public, et impatience aussi du public à retourner au concert.

Mais les perspectives pour 2023 et 2024 sont sombres. Les perspectives de diffusion d’abord : l’étude flash réalisée par Grands Formats montre une baisse de 25% de la diffusion entre 2022 et 2023, petites et grandes formations confondues. On entend d’ailleurs que des salles et des festivals réduisent leur programmation ou ferment leurs portes temporairement. Je pense à la saison de Jazz à Poitiers et au festival Bruismes, à la Dynamo de Banlieues Bleues, à l’Arrosoir à Chalon sur Saône qui ferme purement et simplement après 50 ans d’existence. Un communiqué du 3 juillet d’AJC interpelle sur la baisse des financements des lieux, avec en parallèle l’augmentation de leurs frais de structure, et notamment de l’énergie.

Du coté des équipes artistiques, les financements baissent aussi. On a vu tout au long de l’année 2023 les critères du CNM se durcir. D’abord la commission Création/Production/Diffusion, où le nombre de dates exigées passe de 5 à 8, ce qui, dans un contexte de baisse de la diffusion, devient intenable. Ensuite, la commission d’Aide à la Production Phonographique, dont les critères vont difficilement permettre à nos modèles économiques d’avoir à la fois une activité de label et de production de spectacle. Les demandes d’aide vont mécaniquement se reporter sur l’aide à la production phonographique proposée par la MMC (Maison de la Musique Contemporaine), qui ne pourra répondre favorablement à toutes.

Les OGC (Spedidam, Adami, Sacem,…) ont globalement toutes baissé leurs aides, ou durci leurs critères, ou refondu leur système d’aide, mais elles ont aussi participé moins que prévu au financement du CNM. Le Centre National de la Musique, après avoir été le guichet de l’état pour les aides d’urgence pendant la pandémie, nous montre que son fonctionnement de croisière, donc son financement, n’est pas garanti et ne l’a jamais été, et qu’il ne sera pas pour nos modèles économiques et nos esthétiques le partenaire qu’on nous a présenté lors de sa création. La mission de diversité du CNM est mathématiquement difficile à mettre en œuvre sans financement. Aussi, les diverses recommandations du rapport Bargeton sont, à mon avis, à suivre : une taxe sur le streaming doit être mise en place, tout comme un abaissement du pourcentage de droit de tirage, une participation des OGC réévaluée, et une réflexion sur l’élargissement de la taxe sur la billetterie aux esthétiques classiques et contemporaines.

D’Accord Majeur, à Aix en Provence ce 12 juillet, il faudra retenir la déception lors de la prise de parole de la Ministre de la Culture, où aucune solution n’a été apportée aux problématiques actuelles : la fragilisation des musiques de créations, dont le jazz, et le problème majeur qu’est la diffusion. Il faut absolument s’attaquer au problème du manque de diffusion : créer des répertoires, a fortiori en grande formation, qui ne sont joués que 3 ou 4 fois n’est plus possible. Certaines initiatives comme le programme de Soutien à la Création Mutualisée en Musiques Actuelles, annoncé par la DGCA, sont intéressants, mais avec 6 dates et 3 partenaires diffuseurs, ce ne sera pas une aide destinée aux artistes les plus émergents.

Quoi qu’il en soit, après une allocution du Président de la République lors de la Fête de la Musique qui avait enthousiasmé le secteur, force est de constater que les inquiétudes demeurent, et vont demeurer jusqu’au vote du PLF (Projet de Loi de Finances). Les budgets nouveaux pour lesquels notre Ministre a dit se battre, doivent servir à diffuser la musique, c’est la priorité.

Par ailleurs, la structuration des équipes artistiques, comprenant l’emploi de permanents, doit aussi être une priorité pour les DRAC et la DGCA. Le parcours de ces équipes et leur soutien dans le temps est un puissant outil qu’il faut conserver.

Je pense d’ailleurs que les initiatives des équipes artistiques, en termes de diffusion et d’échange, doivent être accompagnées par l’Etat, via les DRAC et la DGCA. Grands Formats propose d’ouvrir à partir de la rentrée une concertation entre ses membres et les compagnies artistiques non membres qui le souhaitent, afin de relancer l’initiative « Collision Collective » qui existait entre 2015 et 2017, et mettait en valeur des initiatives d’échanges entre des équipes artistiques (souvent des collectifs), en y associant évidemment des lieux de diffusion.

Car nous avons besoin des lieux et les lieux ont besoin des artistes. Nous allons coopérer avec les collectivités, mutualiser des coûts, comme nous y engage notre Ministre, même si nous le faisons déjà depuis longtemps, mais nous attendons tous de l’Etat de vrais engagements sur des moyens financiers permettant la diffusion. Car un·e musicien·ne fait des concerts, joue sur scène, devant du public, c’est sa raison de vivre.

Par Alexandre Herer, président de Grands Formats, pour Onze Heures Onze


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