Un an déjà

« Comment ça va toi ? »
« Moi, bien… » *air gêné* « … j’ai la chance de pouvoir travailler. »

L’an dernier, lorsque le mouvement du monde s’est arrêté, les musicien·ne·s avaient la sensation d’être tou·te·s dans le même bateau, du moins professionnellement. Les modalités de confinement n’étaient certes pas les mêmes pour tout le monde, mais aucun·e d’entre nous ne pouvait ni jouer, ni répéter. De cela, nous étions tou·te·s privé·e·s à part égale.

Deux confinements plus tard, la situation est loin d’être la même. Tout le monde ou presque s’est remis à tenter de faire quelque chose (répéter, écrire, créer, « résider », tourner, faire des concerts…en livestream ?), mais seule une petite portion des musicien·ne·s « travaille » dans le sens d’exercer leur métier dans des conditions professionnelles. On pense en premier lieu aux permanent·e·s d’orchestres (classiques — il n’y en a pas en jazz). Mais si c’est le cas aussi de certain·e·s artistes indépendant·e·s, on y trouvera presque exclusivement les fameux et fameuses « artistes producteur·rice·s », ayant monté des compagnies, associations et collectifs, souvent autogérés, par le biais desquels, au prix de très nombreuses heures de travail non-musical, ils ont réussi à trouver des fonds, des partenaires, des soutiens. À eux, les théâtres et les diverses scènes labélisées ouvrent plus facilement leurs portes et leurs ressources.

Les autres ? Ils travaillent aussi, bien sûr. Ils louent des studios sur leurs deniers pour continuer à jouer et créer ensemble coûte que coûte. Ils achètent du matériel et s’auto-forment pour organiser leurs propres livestreams, proposés plus ou moins gratuitement. Ils imaginent des manières alternatives de faire de la musique.  Mais eux qui aujourd’hui ne vivent déjà plus que sur leurs allocations chômage, n’auront pas leurs heures lors du grand recalcul, lorsque le sursis de l’année blanche, si elle n’est pas reconduite, aura fini de se consumer. Car ils n’auront pas vraiment « travaillé ». Certains et certaines songent à la reconversion. D’autres n’ont même pas eu ce sursis : ce sont les jeunes musicien·ne·s « sorti·e·s d’école », ou les moins jeunes qui étaient sorti·e·s de l’intermittence avant la crise. Les fameux primo-accédant·e·s, les laissé·e·s pour compte de l’année blanche.

C’est à eux que je pense quand je m’excuse d’aller bien. Et je me demande parfois par quel miracle je me retrouve à plutôt faire partie des « chanceux », alors que 5 ans à peine avant la crise j’étais encore moi-même « à l’école ».

Une des réponses à cette question tient en deux mots : Grands Formats.

Il y a peu, j’étais invitée à réfléchir sur les grandes étapes qui avaient jalonné mon parcours de musicienne, sur ses moments-clé, dont j’avais pu mesurer l’importance après coup. Mon entrée dans Grands Formats en est définitivement un, et pas des moindres. Il y a un avant et un après, concernant ma capacité à comprendre le milieu plus large dans lequel on évolue en tant que musicien.ne, ses enjeux politiques, les endroits où mener les combats. Et comment, en tant que jeune artiste leader de projet, aborder le virage vers ce qui nous empêche de couler aujourd’hui : la structuration.

En France, les aides à la culture, à la création, au secteur musical, existent. En tant que fédération d’artistes, et aux côtés de syndicats et d’autres instances collectives, Grands Formats a contribué et contribue encore à forger et orienter les dispositifs qui permettent que la vitalité artistique hors du cadre du marché ne se fasse pas au prix de la précarité. On voit chaque jour à quel point ces dispositifs sont fragiles et pourraient disparaître du jour au lendemain. C’est une des raisons-d’être de Grands Formats que de les défendre.

Une autre est d’aider et d’encourager les musicien·ne·s à les comprendre et à les utiliser. C’est un point sur lequel nous avons envie d’aller encore plus loin. Aujourd’hui, particulièrement en tant que jeunes artistes, on ne peut que se sentir en concurrence les un·e·s avec les autres. Toujours plus nombreux·ses et de plus en plus « compétent·e·s musicalement » *, alors que l’existence médiatique et scénique de cette musique ne cesse de diminuer, la pression est énorme.

Face à cela, on fait le pari inverse : celui de se fédérer. Grands Formats est l’un des endroits où les savoirs et les compétences se partagent, se transmettent. Expertise musicale, conseils en structuration… les membres en compagnonnage (et pas que !) peuvent compter sur l’expérience des plus aguerris. Et ça, pour ces jeunes musicien·ne·s leaders de projets, et notamment celles et ceux qui ont en eux le feu de la grande formation, ça n’a pas de prix.

On s’en rend particulièrement compte aujourd’hui.

Ellinoa, chanteuse et leader du Wanderlust orchestra, membre du CA de Grands Formats

 

* suite au développement de l’enseignement du jazz en conservatoire, et du fait qu’une multitude de références soient très facilement accessibles sur les plateformes

© Sylvain Golvet


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