Depuis 2020, Sylvaine Hélary imagine, édifie et mûrit sa prochaine création : un grand ensemble étincelant, réunissant neuf musiciennes et musiciens, venant tout autant du jazz contemporain que du monde baroque. Les sonorités des instruments des deux époques se répondent, se complètent, se mêlent, au gré de compositions autour d’un choix de poèmes d’Emily Dickinson, poétesse américaine du XIXe siècle, mis en résonance avec la plume de PJ Harvey.
Cette nouvelle création s’inscrit avec pertinence dans le parcours artistique de la musicienne qui a déjà prouvé, à travers ses précédents groupes sa grande faculté à composer un univers musical riche et original et à diriger un projet collectif. Avec ce grand ensemble, elle souhaite apporter une nouvelle dimension à son travail de compositrice en écrivant pour un effectif plus important, lui posant de nouvelles questions d’orchestration et lui permettant d’étendre ses techniques d’écriture. Membre du Surnatural Orchestra pendant dix ans et interprète dans le White Desert Orchestra d’Eve Risser, Sylvaine Hélary possède une expérience fine du jeu et de l’improvisation au sein de grands ensembles de jazz et musiques improvisées.
Elle travaille autour d’un langage s’inspirant des sonorités veloutées de la pop anglaise et développe une nouvelle palette sonore, de grooves et polyrythmies, prise en charge par tous les membres de l’orchestre. Les timbres des instruments baroques répondent à des textures électroniques, autour d’une écriture pensée comme terrain d’exploration permettant non pas une juxtaposition de tous ces éléments, mais bien une musique créative au propos riche, étendu et surprenant. Une part belle est laissée à l’improvisation, confrontant ainsi les différentes manières de pouvoir aborder cette pratique et permettant à chacun de se révéler et de nourrir l’imaginaire commun de l’ensemble.
Le mot « incandescence » définit la transmutation de la chaleur en lumière, mais cette lumière, éblouissante, abolit toute couleur. […] Non seulement les couleurs s’abolissent, mais les catégories se brouillent, les contours s’estompent, des fragments tourbillonnent dans un paysage kaléïdoscopique où, dans le même temps que la nature vibre et resplendit : « Les Matins en Midis fleurissent — / Et fendent leurs Gousses de Feu — », le néant déroule ses mornes étendues : « rien que des Infinis de Néant — / A perte de vue ».
L’art poétique d’Emily Dickinson tient dans cet effort pour porter le temps à l’incandescence, n’en retenir que l’absence blanche, les instants où il se nie lui-même, ou explose pour se changer en éternité. Art tendu vers l’absolu, mais qui, dans son heurt douloureux avec le réel, ouvre par contre-coup l’ère moderne de la discontinuité.
[…] Le mode de composition est symphonique : il reprend des motifs, introduit des variations, découvre des sens nouveaux en creusant le vocabulaire, enrichit le thème majeur. Emily Dickinson avait une prédilection pour le mot «Circonférence» : « La Circonférence est mon Affaire » déclarait-elle.Il ne faut chercher ni unité ni progression, mais épouser plutôt un mouvement sinueux, avec ses avancées et ses replis. […]
– Claire Malroux in Preface, Une âme en incandescence : Cahiers de poèmes 1861-1863 de Emily Dickinson