Pour une relève qui s’appartient

Alors que l’automne clôt la vague de concerts de notre rentrée Grands Formats, prenons le temps de saluer le souffle collectif de notre temps fort au Petit Faucheux à Tours – partenaire fidèle, attentif et précieux de la fédération. Concerts, jam session, rencontres professionnelles, Assemblée Générale : autant de moments qui ont nourri nos réflexions, renforcé les liens qui font et feront la force collective de notre réseau.

Car face à la crise politique en cours et à l’inlassable érosion de l’engagement de l’État (baisse des dotations aux collectivités, baisse de dotations au Centre National de la Musique, « évolutions » du Fonpeps et du Pass Culture), la cohésion de Grands Formats est fondamentale pour peser de tout son poids dans les décisions à venir, demeurer ressource vivante et force de proposition.

Dans ces perspectives au long cours, un nouveau chantier s’ouvre : celui du renouvellement générationnel. Alors que Grands Formats regroupe un nombre croissant d’ensembles et de collectifs, un constat s’impose : peu de jeunes ensembles – et surtout d’orchestres composés de jeunes musicien·nes – rejoignent la fédération, révélant la difficulté croissante de faire naître puis faire vivre des collectifs et des orchestres d’envergure dans un écosystème fragilisé.

Au-delà de l’aventure sonore unique, le grand ensemble est, par son essence à rassembler autour d’un projet musical ambitieux, une matrice irremplaçable de rencontres artistiques, humaines et militantes. Car au-delà des choix de structure juridique – association, coopérative, société, mutualisation – ou de gouvernance – direction artistique unique, tournante ou collective – peut se poser à la jeune génération une question plus radicale : celle du sens même de « se structurer ».

La souplesse et la mobilité des créations d’orchestres éphémères, bien que réelles et parfois fécondes, restent attachées à la logique marchandable du projet, et finissent par ronger à long terme ce qu’elles promettent à court terme : l’indépendance artistique des musicien·nes eux-mêmes.

Dans un monde où la flexibilité est une vertu, liberté et précarité sont les deux faces d’une même pièce et derrière cette apparente agilité de production se cache un risque majeur : celui de la dépossession.

Il nous revient collectivement de réaffirmer ce qui fait la force et l’histoire de Grands Formats : organiser nos forces, continuer à penser nos modèles, pour défendre notre autonomie comme condition première de toute création véritable. Que la conquête par les artistes de la maîtrise de leur propre outil de production indépendant ne se transforme pas à nouveau en position de dépendance vis-à-vis de logiques de prescription ou d’orientations artistiques extérieures.

Car le système capitaliste – auquel notre secteur n’est pas soustrait – organise des contextes de pénurie où les moyens se raréfient et les espaces de diffusion se contractent. Dans ce contexte, le rapport de force entre nos compagnies d’une part et les lieux de programmation, les appels à projets et dispositifs d’autre part, tend mécaniquement à se déséquilibrer chaque jour un peu plus.

C’est précisément dans ce contexte que la solidarité et la structuration collective sont notre meilleure arme : c’est pourquoi nous appelons la jeune génération à rejoindre Grands Formats ! Rappelant avec force que l’indépendance artistique ne peut exister à long terme sans la maîtrise de notre outil de production. Nos compagnies, nos collectifs, nos structures communes ne sont pas seulement des cadres administratifs : ils sont des instruments d’organisation radicale du travail au service de démarches sociales et artistiques émancipatrices.

Car c’est peut-être là, dans un geste tout aussi politique que poétique, que demeure la promesse la plus précieuse : celle d’un art qui s’appartient encore.

Par Grégoire Letouvet – Les Rugissants / Pégazz & l’Hélicon


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