Temps cyclique et temps linéaire de la création artistique

En tant qu’artistes, nous sommes pris dans deux types de temps : d’une part, le temps cyclique, celui des saisons artistiques, des années, des festivals, des cycles de production, et d’autre part, le temps linéaire de nos trajectoires, qui est aussi le temps idéal du progrès, hérité de l’idéal des Lumières, qui nous amène à suivre notre chemin artistique, à créer au mieux, au plus juste, en harmonie avec le monde et avec nous-mêmes.

Il existe une tension intrinsèque dans l’articulation de ces deux types de temps car les cycles de création et de production ne sont pas toujours bien huilés et ne forment pas toujours une jolie spirale au service de nos destinées artistiques individuelles.

Les temps de gestation des projets et leur mise en place jusqu’aux bilans sont parfois si longs qu’ils s’étendent et débordent les uns sur les autres. Nous nous retrouvons parfois à rendre compte d’un projet à nos partenaires alors que le projet suivant, voire le suivant, a déjà été lancé. Au temps où l’artiste est devenu porteur de projet, multi-casquettes, il faut savoir conjuguer la conception avec réalisation et bilan, tout au présent…

Parallèlement à l’éternel retour de ces cycles, il y a aussi un temps linéaire, celui de nos vies et de nos expériences qui nous enrichissent au fil du temps, avec ici et là, des événements ponctuels, comme une rencontre artistique exceptionnelle, un disque ou le prix Django Reinhardt que j’ai reçu cette année, événement unique par définition puisqu’il ne peut se produire qu’une fois dans une vie, et de façon générale un développement ou une direction artistique nourrie par nos désirs de créateurs au long cours.

Dans cette conjugaison délicate, la fédération des Grands Formats est précieuse car on partage nos problématiques avec d’autres membres qui possèdent ces deux qualités indispensables à nos grandes aventures : la folie et la rationalité. Folie des grandeurs, celle de défendre des projets de création en grand format, et la rationalité nécessaire à la conduite de nos ensembles et à la mise en œuvre de nos créations qui requièrent une grande capacité d’organisation.

Le fait de partager cette position d’équilibriste entre créativité et rationalité crée une complicité et une solidarité très forte entre les membres de la fédération. Conscients des difficultés et des particularités des modèles de nos structures de production, nous savons que nous avons tout intérêt à partager nos savoir-faire dans un climat d’entraide et de bienveillance. Combien de fois me suis-je sentie inspirée par les échanges au sein des Grands Formats, solidaire ou rassurée par d’autres qui partageaient les mêmes doutes que moi, ou simplement heureuse de partager quelques lumières dans notre forum ?

En prenant un peu de recul, on se rend compte que les cycles de création nous amènent à revivre des situations que nous avons déjà expérimentées, à commencer par celle de l’idée artistique originelle, cette petite graine qui va germer et se réaliser à travers un nouveau projet. Mais nos expériences passées nous ont transformés et, malgré la similarité des positions où nous nous trouvons, nous ne sommes plus exactement les mêmes que les fois précédentes. C’est à partir de cette expérience que nous pouvons porter collectivement une voix qui compte dans notre écosystème, améliorer les modalités de création artistique et apporter de nouvelles idées dans les champs où nous évoluons.

En tant qu’artistes, nous suivons ainsi des cycles de création sans pour autant perdre le fil d’Ariane de nos parcours artistiques. Je me plais à imaginer les Grands Formats comme une grande toile, aussi riche que la variété de nos propositions esthétiques et de nos expériences. Malgré la finesse et la fragilité de chacun de ses fils, cette toile est solide de par son articulation et la fluidité des échanges au sein de la fédération. Une belle source d’inspiration et d’espoir dont nous devons prendre soin au présent et au futur…

Le fait de partager nos expériences fait grandir notre sagesse collective et nous permet d’anticiper certaines situations, certaines erreurs, d’imaginer d’autres solutions qui n’auraient jamais été envisageables sans l’existence d’une fédération. La métaphore de la création musicale peut très bien illustrer ce phénomène : en tant que cheffe d’orchestre et compositrice, la partition que j’ai imaginée s’élargit au contact des musiciens qui la jouent car l’incarnation musicale fait naître de nouveaux possibles. L’énergie qui se dégage du collectif crée parfois de nouveaux phénomènes avec lesquels on joue et qui nous inspirent.

Pour notre écosystème de Grands Formats, qui s’est élargi aux collectifs (ce qui n’est pas un hasard), le plus important est de partager nos dynamiques, nos réalités et nos idées. Cet échange nous apporte un recul nécessaire à l’action collective car il nous amène à distinguer naturellement ce qui relève de nos destinées singulières de ce qui nous traverse tous plus ou moins. En prenant conscience de ces points communs, nous dégageons alors les grandes lignes et les grandes problématiques à travailler concernant la production phonographique, la production artistique, la diffusion, la représentation devant les instances politiques, et surtout nous pouvons imaginer ensemble de nouvelles modalités pour nos créations futures. Je forme le souhait de voir les Grands Formats grandir encore et porter, avec Erwan et Laura – une équipe en or ♡ – notre élan créatif encore plus loin…

Par Leïla Olivesi pour le Leïla Olivesi Octet

Photo © Solene Person


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