Demain, quelle politique pour la création artistique ?

Depuis quelques années maintenant, et en dehors du chaos dû à la crise sanitaire, nous observons avec Grands Formats une dégradation générales des conditions de travail des musiciennes et des musiciens.

D’une part, le niveau moyen des rémunérations baissent, alors que les cachets des « stars » s’envolent. D’autre part, sous couvert de glorification de l’artiste-femme/homme à tout faire, le modèle d’un secteur dans lequel la grande majorité des musiciennes et des musiciens effectuent du travail non-rémunéré, parfois pour des structures subventionnées, s’est développé.

Ce modèle pose de graves problèmes à notre secteur. Tout d’abord, le coût réel du travail réalisé n’est pas pris en compte et est donc trop souvent partiellement reporté sur Pôle Emploi lorsque ces musiciennes et musiciens sont des intermittents et sont indemnisés les jours où ils travaillent sans être rémunérés. C’est illégal – rappelons-le ici, cette situation est subie par ces artistes et tous souhaiteraient soit pouvoir être rémunérés pour ce travail soit pouvoir embaucher des salariés dédiés à ces tâches – et cela fragilise dangereusement notre profession et le régime de l’intermittence du spectacle.

Ensuite, cela a contribué à institutionnaliser un modèle dans lequel les vertus affichées de mutualisation, d’horizontalité, de partage des tâches ne sont souvent in fine que des mots pour faire oublier le manque de financement qui empêche la création de postes et la juste rémunération du travail réel.

L’existence d’une activité artistique diverse qui prend des risques, crée des œuvres nouvelles, rayonne sur les territoires où elle est implantée, développe la médiation culturelle pour tous et propose donc une alternative à une industrie culturelle qui n’a malheureusement aujourd’hui comme seul horizon indépassable le profit à court terme, a un coût réel que plus personne ne veut regarder en face.

Il est donc essentiel que Grands Formats ouvre cette discussion avec l’ensemble des institutions finançant ce secteur. Aujourd’hui, il est grand temps de comprendre quel est le coût réel de ce secteur et de prendre des décisions permettant son financement afin de préparer un avenir meilleur pour les futurs musiciennes et musiciens qui entreront dans cette profession.

Ajoutons ici que, dans le cas du jazz et des musiques improvisées représentées par Grands Formats, la situation est encore plus dramatique car le niveau d’aide des compagnies artistiques indépendantes est, en moyenne, aujourd’hui deux fois et demie moins élevé que dans la musique classique. Le niveau actuel des aides ne permet pas de créer de l’emploi pérenne et valide, de fait, le modèle décrit précédemment.

Par ailleurs, la perversité de ce fonctionnement va jusqu’à rendre non-concurrentielles les propositions artistiques, nécessairement plus coûteuses, faites par des structures essayant de ne pas appliquer ce modèle, le renforçant donc encore plus années après années.

Il est vrai que même si la musique de création n’était plus subventionnée les musiciennes et les musiciens continueraient de jouer et de créer malgré les très grandes difficultés que cela engendrerait pour leur situation financière, psychologique et sanitaire. Mais cela n’est absolument pas une raison pour laisser les conditions de l’exercice de cet art se dégrader jusqu’à une situation extrême comme celle connue dans les pays appliquant des politiques plus néo-libérales. Au contraire, nous devons continuer à nous battre ensemble pour sauver ce qui a été développé et défendu par nos aîné·e·s et le transmettre aux nouvelles générations.

Au-delà des problèmes que je viens d’évoquer, ce modèle a également une autre conséquence néfaste : rendre terriblement difficile l’accès des jeunes générations à une professionnalisation.

Il aboutit, en terme social, au renforcement d’une triple barrière. Car ne nous voilons pas la face, la réalité est qu’aujourd’hui la majorité des jeunes musiciennes et musiciens – quel que soit leur talent – n’ont pas la possibilité de dégager de leurs activités artistiques un revenu leur permettant de vivre avant d’avoir dépassé trente ans. Sans l’aide de leur entourage proche, impossible pour eux de vivre sauf à trouver un emploi alimentaire et à mettre en péril leurs capacités à mener à bien des projets artistiques de haut niveau.

Cela interdit tout simplement l’accès à ces professions aux jeunes issus de milieux ne disposant pas d’un capital financier suffisant, ajoutant donc une barrière financière infranchissable aux barrières culturelles et symboliques déjà existantes.

 

Frédéric Maurin
Membre du conseil d’administration de Grands Formats
Directeur artistique de l’Orchestre National de Jazz

© Catherine Ledrux


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