Un réveil douloureux

Que d’émotions en ce mois de novembre…
Tout d’abord, réjouissons-nous de cette rentrée de la Fédération Grand Formats : ce fut un beau moment, riche de musique, de rencontres et d’échanges ; on en a bien besoin, l’horizon étant si sombre. Merci aux équipes du Pannonica, de La Soufflerie et du conservatoire pour leur accueil !
Une fois encore, l’évènement nous permet en effet de constater la vitalité du jazz et des musiques improvisées à travers la création pour grands ensemble (Acoustic Large Ensemble / What’s New Orchestra / Moger Orchestra / Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp) mais aussi la rencontre d’une jeune génération de musiciennes et musiciens passionné·e·s. La relève est assurée !

Pourtant, ici dans les Pays de la Loire, nous ne voudrions pas que ces beaux concerts résonnent comme un requiem. Puisque nous apprenions à peu près dans le même temps que des coupes drastiques dans les budgets pour 2025 allaient être mis aux votes par la présidence de la Région, entre autres dans le secteur de la culture. J’écris « coupes drastiques », je devrais parler de « saignée » tellement les annonces sont sidérantes – on sait que cela fait partie de l’effet voulu.

Alors de quoi s’agit-il ? 

Je me permets ici de détailler un peu les choses, car l’attaque est d’envergure et mérite qu’on prenne le temps de s’y pencher.
La présidence de Région fait du zèle : l’État demande 40 millions d’économies à la Région – ce qui n’annonce déjà rien de bon, mais la présidente de Région, Christelle Morançais (Horizons), décide d’en faire 60 millions de plus, soit 100 millions d’euros d’économies au total sur le budget (Ouest France, 17/10/24). Ce budget sera soumis au vote du Conseil Régional les 19 et 20 décembre, et ce sans aucune discussion ni concertation préalables avec la plupart des structures, secteurs, élu·e·s concerné·e·s.

Pour la Culture donc, la Région envisage une baisse de 73%.
Les aides aux lieux, aux compagnies, aux arts de rue, aux différents pôles… Beaucoup de structures se voient même annoncer de simples arrêts de la participation de la Région ou des baisses de 50% en vue d’un arrêt complet. Ce qui est impressionnant, et de prime abord peu compréhensible, c’est qu’on parle du financement d’institutions : pour le jazz, sont notamment concernés le festival des RDV de l’Erdre, Le Pannonica, Le VIP à St Nazaire (Jazzimut), Le Pôle de coopération pour la filière musicale en Pays de la Loire, Trempolino, La Soufflerie… Mais on parle aussi de La Folle Journée, de l’ONPL, de l’Opéra Nantes/Angers, du Voyage à Nantes, du Théâtre Régional, etc. Notons que la plupart de ces annonces se font d’un coup de téléphone, voire d’un sms. Structures essentielles de la vie culturelle régionale, c’est tout un tissu de création et de diffusion construit au fil des années potentiellement démantelé.

Et la culture n’est pas la seule victime, c’est tout le périmètre de la commission 7 du conseil régional « Culture, sports, vie associative, bénévolat, solidarités, civisme et égalité femme-homme » qui se trouve impacté : -90% pour l’égalité femmes/hommes, -74% pour le sport. On parle de 160 000 emplois menacés. La région veut stopper son financement des missions locales pour l’emploi, et du planning familial ! (Cette liste n’est pas exhaustive, on apprend au compte-gouttes les structures / secteurs visés)

Alors cela pose quand même de sérieuses questions sur l’orientation d’une telle politique. On peut reconnaître la doctrine néolibérale qui ne supporte pas le service public (« Quelle est la pérennité d’un système qui, pour exister, est à ce point dépendant de l’argent public ? » lisait-on dans la publication sur X de C.M. le 12 novembre) ; on voit aussi l’aspect autoritaire de cette doctrine dans la manière dont est menée cette opération : non concertation, violence des annonces, politique du fait accompli. La nature des secteurs attaqués, elle, fait dériver dangereusement vers l’extrême droite (le planning familial !!). De même, la culture, la création artistique et la sphère intellectuelle sont toujours attaquées par les courants fascistes …
J’écrivais plus haut «peu compréhensible» pour parler de ces coupes budgétaires, mais elles le deviennent si on les considère comme étant portées par une idéologie d’extrême droite.

Aujourd’hui le mouvement est plus global, et le glissement depuis sa nomination du gouvernement illégitime est plus qu’inquiétant. Il était question de classe bourgeoise dans l’édito d’Octobre, j’ai envie aujourd’hui de parler de bourgeoisie radicalisée, ayant plongé dans un néolibéralisme autoritaire à tendance fasciste. On pouvait croire que la bourgeoisie aimait aller au concert, au théâtre et à l’Opéra, avait de l’attrait pour la chose intellectuelle, celle-ci manifestement plus.
Comme le décrivait Miguel Benasayag, le néolibéralisme veut nous faire « fonctionner » là où l’être humain veut « exister ». Et c’est Bernard Stiegler qui, dans un court entretien vidéo intitulé « À quoi sert l’art ? », raconte comment l’art est une des manières qui permet à l’être humain de se sentir « exister ». Des considérations philosophiques dont se sont profondément éloignés nos gouvernants…

Cela se passe en ce moment dans les Pays de la Loire, nous avions déjà assisté à des attaques en Rhône Alpes, nous devons nous attendre à ce que ça s’étende sur tout le territoire vu la tendance politique nationale.
Ici, la mobilisation s’organise : professionnel·le·s des secteurs impactés, élu·e·s, citoyen·ne·s, travaillent ensemble pour empêcher ce vote qui à coup sûr interdira, par exemple, ce que la belle rentrée de Grands Formats nous a permis d’apprécier.

Il nous faut donc cultiver ces liens et ces solidarités. Penser nos pratiques, discuter politique et notre rapport au(x) politique(s). Grand Format est un des lieux pour cela même si notre fédération n’échappe pas, elle non plus, aux coupes budgétaires.

Les Gilets Jaunes demandaient plus de démocratie pour que nous puissions, nous citoyennes et citoyens, avoir un réel pouvoir sur les décisions nous engageant. De la réforme des retraites aux coupes budgétaires régionales, des élections législatives aux politiques culturelles, cette question se révèle toujours centrale.

Par Raphaël Herlem (Les Rugissants / Collectif Gros Caillou)

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Pour aller plus loin :

– Miguel Benasayag, Fonctionner ou exister ?, Paris, Le Pommier, coll. « Essais et documents », 2018
– Bernard Stiegler : « À quoi sert l’art »
Communiqué – Trempo : Pays de la Loire : mobilisation des artistes et professionnels de la culture contre les coupes budgétaires envisagées par la Région
Communiqué : Les Rendez-vous de l’Erdre et Débord de Loire touchés par le retrait financier de la Région Pays de la Loire
Communiqué – Pannonica : lettre ouverte à Madame la présidente du Conseil Régional des Pays de la Loire
Communiqué – planning familial : Suppression des subventions du Conseil Régional en Pays de la Loire
Coupes budgétaires : la Région Pays de la Loire abandonne les missions locales (Ouest France)
Où trouver 100 millions d’euros d’économies ? Le débat divise les élus en Pays de la Loire (Ouest France)
La liste des coupes budgétaires de la région Pays de la Loire (Médiacités)

© Jeff Humbert


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