Certes, c’est l’heure des bilans, mais je vous propose autre chose que celui de l’année 2023, qui est déjà rempli d’incertitudes. Partons sur des paroles d’espoir et réjouissons-nous déjà de célébrer les 20 ans de l’aventure Grands Formats.
Mais, amis Grands de Formats, on devrait aussi se réjouir d’avoir tous 100 ans prochainement !
Et oui : c’est en 1924 qu’à la demande du Cotton Club, que « nôtre père à tous », Fletcher Henderson constitua un orchestre de revue avec uniquement des jazzmen pour créer un grand orchestre qui jouerai la nouvelle musique à la mode : le Jazz. Benny Carter, Sidney Bechet, Louis Armstrong, Rex Stewart défilèrent dans les premières années de l’orchestre.
Par la même occasion, en plus d’inventer le big band et il contribua à donner un premier sens au mot arrangement grâce à des pionniers comme Benny Carter et Don Redman.
La voie était ouverte pour 100 ans déjà de jazz en grande formation.
Tout le monde s’y est mis dans les années 20 : Jimmy Lunceford, Duke Ellington, Cab Calloway, puis dans les années 30 Count Basie… la liste est trop longue.
Mais j’insisterai aussi sur la richesse que des grand·e·s visionnaires ont apporté à l’écriture pour big band. Citons : Benny Carter, Don Redman, les pionniers, puis Billy Strayhorn & Duke Ellington, Mary Lou Williams, Georges Russel, Tadd Damron, Neal Heafti, Ernie Wilkins, Billy Byers, Gil Evans, Clare Fischer, Thad Jones, Quincy Jones, Oliver Nelson, Bill Holman, Don Sebeski, Maria Schneider, Slide Hampton… j’arrête tout de suite !
De ce fait, l’histoire du jazz se retrouve intimement liée à celles des big bands, mais aussi à cause de deux phénomènes. Tout d’abord ils ont été des foyers d’invention car on n’y a pas inventé que de la musique mais aussi des pratiques, des phrasés, des instruments de musique, puis ils ont constitué de formidables lieux d’apprentissage et de transmission.
Ces lieux qui mélangeaient les générations permettaient à de très nombreux jeunes cats dont c’était le premier « gig » de se former et d’y apprendre leur art. J’adore cette remarque de Bob Mintzer à l’occasion d’une master-class : « mon conservatoire de jazz à moi, ça a été le big band de Buddy Rich».
Donc, la grande formation est un formidable moyen pour apprendre son art, pour grandir, pour apprendre aussi l’humilité tout étant emporté par l’émulation et au final pour apprendre à adopter une conduite professionnelle, pour s’appliquer à mettre son intelligence musicale au service de l’œuvre collective. Partir des mois sur la route, ça apprend aussi à vivre ensemble, à calmer ses exigences de sale gosse. Mais aussi, concernant les plus âgés qui sont en pleine activité, ils assument la responsabilité d’être des locomotives, et la présence des jeunes leur permet une remise en question et d’être en prise constant avec la passion. Bien sûr cela ressemble à n’importe quel métier, mais la différence du notre, c’est que nous avons de l’impalpable à échanger, à transmettre !
Une grande formation c’est une génératrice complète d’art et l’esthétique n’est qu’un détail, du moment où tous y mettent le même amour de l’art.
Joyeux 100ème anniversaire à tous les grands formats, tous les big bands, tous les « jazz orchestras », tous les « studio orchestras » de la terre !!!
Par Pierre Bertrand pour Pierre Bertrand & la Caja Negra
Photo : Pierre Bertrand © Bruno Tocaben