Pour une nouvelle modernité de rupture : une création musicale d’ « art et d’essai »

Dans cet édito, à vrai dire, j’aurais préféré disserter d’emblée sur des enjeux plus fondamentaux de la création artistique à notre époque… Mais voilà, quelque chose sent un peu la fin d’époque justement.

Alors que les récentes péripéties d’une intrigue qui tourne au grand guignolesque ont mis le « déni de démocratie » sur de nombreuses lèvres, il convient d’interroger, même brièvement, si la voie institutionnelle aurait pu nous mener ailleurs. Le supposer serait oublier un peu vite que « Le gouvernement moderne n’est qu’un comité qui gère les affaires communes de la classe bourgeoise tout entière »¹ . Fait au demeurant particulièrement saillant lors de la vacance estivale du gouvernement français, alors que le patronat se la jouait business as usual rappelant seulement son attente d’un nouvel émissaire pour mener de l’avant ses réformes (cf. par exemple l’éloquent entretien de Michel Biero, vice-président de Lidl France, le 31 août 2024 sur France Inter à ce titre).

Or, les affaires communes de la classe bourgeoise, c’est avant tout la bonne marche du commerce de tout et tout le monde. Pas un sou de vision d’ensemble en somme, tant que le marché fait son office. C’est bien pourquoi il nous faut mettre les pieds dans le plat – avarié – de ces considérations au sujet desquelles il a été reproché au secteur culturel une certaine timidité. Parce qu’il est vrai que nous aurons bien du mal à produire à grande échelle des œuvres qui résonnent authentiquement avec les enjeux de notre époque sans une politique culturelle volontariste, qui fait défaut depuis bien longtemps. Et comment parler même de politique culturelle dans un cadre politique tout court, aussi creux ? J’en veux pour preuve la réponse que nous fit un sénateur, lorsque Grands Formats le rencontrait en juin 2023, indiquant que les anciennes valeurs des politiques culturelles – l’exigence artistique, le renouvellement des répertoires, l’émancipation par la culture… – ne faisaient plus rêver et que l’on discutait désormais avec Bercy… Rien n’était plus vrai, à en juger par le peu d’enthousiasme que suscitent, dans les bureaux des bonimenteurs de la culture, les initiatives artistiques d’avant-garde auxquelles manquent l’ambition de lucrativité.

Nous ne nous accrocherons pas aux mots d’ordres qui ont guidé les politiques culturelles des années 1960 – certes ils peuvent être actualisés – mais nous réclamons le retour des orientations, franches, et qui font correspondre leur pugnacité à leur verve retrouvée. Nous initions, à ce titre, un travail, tant philosophique que technique, sur l’ « art et essai ». L’emprunt de ce vocable au cinéma n’aura échappé à personne. En tant que classification, elle y permet, au moins dans une certaine mesure, à des œuvres indépendantes et présentant un caractère de recherche d’être largement diffusées. Voilà qui devrait donner du grain à moudre aux politiques publiques relatives au financement et au soutien à la diffusion du secteur musicale. Sa vertu, par ailleurs, me semble tenir aux motifs qui présidèrent à sa création, et dont il serait bien avisé de tenir compte. J’aime à la penser comme le fruit, entre autres mais notamment, de la  « politique des auteurs » ², qui a permis une approche critique structurée des cinématographies. En singularisant la vision d’ « auteur » elle a effectivement signifié la nécessité d’une prise de position critique largement intégrée aux critères de la classification « art et essai » du Centre National du Cinéma et de l’image animée (CNC)³. Sous le rapport créatif tout autant que critique, elle a ouvert la voie à une forme neuve, qui quittent le patrimoine pour une modernité militante.

À nous donc, d’endosser à notre tour la responsabilité d’une rupture, esthétique, philosophique, politique en un bloc, de faire mouvement. De là, nous interrogerons les dirigeants de nos institutions : prendrez-vous la figure des modernes, comme l’ont courageusement fait quelques visionnaires quand les visions du monde avaient encore cours, celle du déni conservateur ou celle tristement actuelle des banquiers indifférents ? Ces lignes ont été écrites alors qu’aucun gouvernement n’avait encore été constitué et qu’a fortiori nous ne connaissions pas l’identité de notre prochain ministre de la Culture. Dans le prolongement de la farce sempiternellement reconduite, il y a tout lieu de croire que nous n’assisterons pas à la régénération de la responsabilité que nous réclamons. Pourtant, nous ne désarmons pas : si la culture à un rôle à jouer dans l’apanage de modèles nouveaux, nous nous tenons prêts.

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¹Marx, Karl et Engels, Friedrich, Manifeste du Parti Communiste. Traduction : Charles Andler. UltraLetters. Bruxelles : 2013 [première publication : 1848], p .16

²Truffaut, François, « Ali Baba et la “Politique des Auteurs“ » in Cahiers du cinéma, n° 44,‎ février 1955, p. 45-47

³Cf. https://www.cnc.fr/cinema/actualites/art–essai-un-cinema-a-la-hauteur_1282145

Par Erwan Vernay, délégué général de Grands Formats 


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